Points de vue

Retour en Allemagne, une histoire très personnelle

février 3, 2023

À l’occasion de la Journée internationale du souvenir de l’Holocauste, nous avons interrogé notre collègue Pamela de notre bureau de Francfort sur son histoire.

  1. Parlez-nous de votre grand-père

Pamela Villafranca-Seidel : Le nom de mon grand-père était Hans Seidel Schiftan. C’était un juif allemand qui vivait dans une ville appelée Falkendorf. Elle se situe désormais en en Pologne et s’appelle Fałkowice. Mais à l’époque c’était encore l’Allemagne. Il y a vécu heureux avec ses parents et ses deux frères dans une petite ferme jusqu’à ce que les nazis les emmènent, lui, ses frères et leur père, dans le camp de concentration de Buchenwald, à Weimar, pendant la Seconde Guerre mondiale. Heureusement, ils ont survécu et ont pu trouver l’asile au Honduras. Là, il a commencé sa nouvelle vie. Il a rencontré ma grand-mère avec qui il a eu trois filles, dont l’une est ma mère. Je n’avais que deux mois lorsqu’il est décédé, mais les personnes qui l’ont connu m’ont toujours dit que c’était homme très gentil, avec le cœur sur la main.

  1. Comment est-il arrivé au Honduras ?

Son dessein initial était d’aller dans un autre pays sur un bateau qui partait d’Espagne, mais ils l’ont manqué. À l’époque, il avait le cœur brisé car il pensait que c’était leur seule chance de survivre et de vivre une bonne vie. Il a appris plus tard que les nazis avaient intercepté ce bateau et emme

né tous les passagers dans un camp de concentration. Tous les passagers de ce bateau sont morts. Plus tard, il est parvenu à obtenir une place pour lui et ses frères sur un autre bateau en direction d’un petit pays d’Amérique centrale : le Honduras. Ils ne connaissaient rien de la langue ou de la culture, mais c’était leur seule chance de quitter l’Europe. Quelques mois plus tard, il est arrivé au Honduras, où il a pu vivre une vie heureuse et épanouie jusqu’à son décès en 1996.

  1. Comment sa vie vous a-t-elle influencé ? Était-ce également une raison pour laquelle vous avez étudié la diplomatie et les sciences politiques ?

Mon grand-père est décédé alors que je n’avais que deux mois, mais je pense qu’il a eu et continue d’avoir la plus grande influence sur ma vie. C’était un homme bon et il a toujours su rester positif, malgré ce qui lui est arrivé. J’essaie aussi de vivre comme cela. Sachant ce qu’il a vécu, j’ai aussi toujours été très intéressée par l’apprentissage des droits de l’homme et de leurs violations, ce qui m’a conduit à être une membre active au sein différentes organisations de défense des droits de l’homme. Cela m’a également permis d’obtenir une maîtrise en études sur la paix et les conflits et de travailler au sein de la commission des droits de l’homme du Sénat colombien.

  1. Qu’est-ce qui vous a motivé à revenir en Allemagne deux générations plus tard ?

J’ai toujours su qu’une partie de moi était allemande, mais en grandissant, je n’ai jamais célébré de fêtes allemandes, ni mangé de nourriture allemande, ni connu de traditions allemandes. J’ai grandi dans un foyer dominé par mon côté hondurien et juif. Je ne me suis donc pas vraiment identifiée à la culture allemande, mais elle m’a toujours intriguée. Je rêvais de voyager en Allemagne parce que je sentais qu’il y avait une partie de mon identité que je connaissais très peu. J’avais aussi l’impression qu’en allant en Allemagne, je pourrais me rapprocher de mon grand-père. En grandissant, je n’ai jamais eu la chance de voyager en Allemagne mais, à 17 ans, j’ai reçu une bourse pour étudier aux États-Unis. Mon université offrait à ses étudiants la possibilité d’étudier à l’étranger et j’ai donc sauté sur l’occasion pour étudier un semestre à Marburg en Allemagne. Pendant ce séjour, j’ai compris que c’était le pays où je voulais vivre. J’ai pensé que revenir serait une excellente façon d’honorer l’héritage de mon grand-père dans ce pays d’une manière positive.

  1. Quel est votre premier souvenir quant à la transmission de l’expérience de votre grand-père fuyant les nazis ?

J’ai grandi dans un pays très conservateur et majoritairement chrétien. Ma sœur et moi étions les seules filles juives de notre école. Malheureusement, dans mon pays, il y a beaucoup d’idées fausses sur le judaïsme. Je me souviens qu’en CE1, un de mes camarades de classe m’a dit qu’il ne voulait pas jouer avec moi parce que les Juifs étaient mauvais. Je me souviens être rentrée chez moi en pleurant, pensant que j’avais fait quelque chose d’horrible. J’ai dit à ma mère que je ne voulais plus être juive parce que les enfants étaient méchants avec moi. Je lui ai dit que je voulais juste être comme tout le monde. Elle m’a alors expliqué ce qui était arrivé à mon grand-père et que le peuple juif avait toujours été persécuté. C’est ce jour-là que j’ai réalisé que des personnes s’opposeront à moi simplement à cause de ma religion. Cela m’a brisé le cœur, mais je me souviens d’avoir pensé : je suis juive, et j’en suis fière. J’ai aussi réalisé ce jour-là que la différence a du bon.

  1. Comment l’expérience de votre famille a-t-elle façonné votre vision de la culture et de l’identité allemandes ? Comment avez-vous accepté l’idée de retourner dans le pays que votre grand-père a dû fuir ?

Avant de décéder en 1996, mon grand-père est retourné en Allemagne avec ma grand-mère. Il a même visité le camp de concentration où il se trouvait. C’était une expérience très douloureuse et difficile pour lui, mais il ne voulait pas quitter cette terre en ressentant une forme de haine. C’était sa façon de lâcher prise. Cela m’a inspiré et m’a conduit à vouloir poursuivre sa vie ici de manière positive. Je suis très fière d’être sa petite-fille. En tant que famille, nous avons toujours parlé ouvertement de ce qui est arrivé à mon grand-père et à des millions d’autres Juifs. Nous sommes très conscients des atrocités qui ont eu lieu pendant la Seconde Guerre mondiale, néanmoins, nous avons toujours su que maintenir une colère dans nos cœurs ne nous mènerait à rien de bon. C’est pourquoi nous avons décidé d’en parler et d’en tirer des leçons, d’éduquer les gens sur la foi juive et d’essayer de créer des liens avec d’autres personnes qui pensent différemment de nous, afin d’espérer contribuer un peu à changer l’opinion sur les Juifs de notre entourage. Nous essayons juste de répandre l’amour et le respect et de comprendre les différences des uns et des autres.

  1. Quelle a été votre expérience depuis que vous avez déménagé en Allemagne ?

Cela n’a pas toujours été facile. S’habituer à ne pas avoir de famille ici, à une nouvelle langue et à une nouvelle culture a parfois été difficile, mais dans l’ensemble, c’était formidable. Au fil des ans, j’ai rencontré beaucoup de gens merveilleux et j’ai noué des amitiés durables que je chérirai toujours. J’ai également beaucoup appris sur moi-même. J’ai d’abord vécu à Marbourg. J’y ai étudié à l’université Philipps et fait ma maîtrise en études sur la paix et les conflits. J’ai adoré vivre là-bas. C’est une ville formidable pour les étudiants. Ensuite, j’ai déménagé à Aschaffenburg, qui est une ville proche de Francfort. C’est un endroit formidable et paisible où vivre après avoir terminé ses études. J’ai maintenant un travail et des collègues formidables. Dans l’ensemble, j’ai eu beaucoup de chance et je peux dire que je suis heureuse d’être ici. Ma sœur et mon cousin vivent maintenant aussi en Allemagne, j’ai donc de la famille, ce qui rend ma vie encore meilleure. Cela a pris du temps, mais j’ai l’impression d’avoir enfin trouvé un bon équilibre.

  1. Quelle est, selon toi, la leçon la plus importante que tu as tirée de l’histoire de ton grand-père ?

J’ai appris à être gentille, malgré ce que la vie nous réserve. J’ai aussi appris à voir les choses positivement dans la vie et à quel point il est important de répandre l’amour, la positivité et la gentillesse plutôt que la haine. J’ai appris à être une personne empathique et à ne jamais être indifférente à la douleur de quiconque. J’ai également appris à me soucier des autres. Cela a fait de moi qui je suis aujourd’hui.

  1. En tant que spécialiste de la communication, pensez-vous que l’on en fait assez pour éduquer les prochaines générations sur l’Holocauste ?

Je pense qu’en Allemagne, les gens sont globalement bien conscients de ce qui s’est passé. C’est du moins mon expérience. Mais je ne peux pas en dire autant de ce qui se fait dans d’autres pays. D’après mon expérience au Honduras, aux Etats-Unis, en Allemagne et en Colombie, j’ai le sentiment qu’il y a encore beaucoup de choses à faire. Il y a plusieurs personnes qui ne savent pas ce qui s’est passé ou qui plaisantent à ce sujet, ne prenant pas le sujet au sérieux. Je pense que cela montre que des personnes ne sont pas conscientes de la gravité de ce qu’il s’est passé, et continue de se passer. Il y a encore beaucoup d’antisémitisme dans le monde. C’est difficile pour moi lorsque je lis dans les journaux qu’une nouvelle attaque antisémite a eu lieu. Cela montre qu’il faut en faire davantage et que cela doit se faire dès maintenant. Je sais que ce n’est pas une conversation facile, mais nous devons en apprendre davantage et en parler autant que possible pour nous assurer que cela ne sera jamais oublié et que cela ne se reproduira jamais. Il est de notre responsabilité à tous de veiller à ce que de telles choses ne se reproduisent plus. En fin de compte, nous devons apprendre à nous respecter et à nous accepter mutuellement malgré nos différences.

Cet article de blog a précédemment été publié sur le site allemand de FINN Partners.