Points de vue
Dans le cadre de la lutte contre le paludisme en Afrique de l’Ouest, les budgets nationaux remplacent l’aide internationale suspendue
avril 25, 2025
En 2023, le paludisme a causé près de 597 000 décès, dont 95 % sur le continent africain, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS)[1]. Cette année-là, la maladie a touché environ 263 millions de personnes dans le monde — soit 11 millions de cas de plus qu’en 2022. L’Afrique reste la région la plus durement touchée, concentrant 94 % des cas mondiaux.
En Afrique de l’Ouest, la situation est particulièrement préoccupante. Le Nigéria à lui seul représente plus de 26 % des cas mondiaux de paludisme et plus de 30 % des décès liés à la maladie. Il est suivi par la République démocratique du Congo, l’Ouganda et le Mozambique[2]. Bien que le nombre de décès soit en baisse, l’augmentation persistante des cas souligne l’urgence de renforcer les efforts de prévention et de traitement.
Pendant près de deux décennies, la lutte contre le paludisme dans la région a bénéficié d’un soutien important de partenaires internationaux, notamment des États-Unis à travers le Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme et la « President’s Malaria Initiative » (PMI) du président américain. Mais en janvier 2025, le président Trump a ordonné une « pause de 90 jours de l’aide au développement international, dans l’attente d’un examen de son efficacité et de sa cohérence avec sa politique étrangère »[3].
Cette décision a suscité de vives inquiétudes parmi des organisations comme Malaria No More, une ONG mondiale dédiée à l’élimination des décès dus au paludisme. Dans une déclaration publiée le 27 février 2025, le président Martin Edlund a souligné que la suspension de ces programmes entraînerait des épidémies et une augmentation exponentielle des décès. « De nouvelles modélisations indiquent qu’une année de perturbations pourrait entraîner près de 15 millions de cas supplémentaires de paludisme et 107 000 décès additionnels », indique le communiqué.
Edlund a exhorté l’administration à relancer ces programmes vitaux avant que les épidémies ne s’aggravent.
Les opinions en Afrique de l’Ouest sont partagées quant à la suspension de l’aide américaine.
« Le paludisme est l’une des principales causes de mortalité dans les établissements de santé à travers l’Afrique. La suspension de l’aide affaiblit les infrastructures sanitaires locales, qui dépendent souvent de ces financements pour fonctionner efficacement. Par conséquent, les efforts visant à réduire la mortalité liée au paludisme sont compromis, ce qui pourrait entraîner une augmentation des décès — en particulier chez les enfants et les femmes enceintes », a expliqué Fogue Foguito, Directeur exécutif de Positive-Generation, une organisation camerounaise qui promeut la santé et les droits humains, à FINN Partners.
« L’Afrique n’a jamais été censée dépendre des États-Unis ou de toute autre source extérieure pour lutter contre le paludisme. Le fléau du paludisme est un problème endémique en Afrique, et le continent représente plus de 90 % des cas et des décès dus au paludisme dans le monde. La société américaine ne connaît pas autant de cas de paludisme que l’Afrique, ni autant de moustiques. Il s’agit donc d’un problème africain », a déclaré Francis Nwapa, coordinateur de la campagne #EndMalariainNigeria, une plateforme de plaidoyer promouvant une approche unifiée pour éradiquer le paludisme au Nigeria, à FINN Partners.
Une hausse des engagements budgétaires nationaux
En réponse à la réduction des financements internationaux, plusieurs gouvernements d’Afrique de l’Ouest ont réagi rapidement. Le Nigéria a alloué 200 millions de dollars supplémentaires à son budget de la santé, avec un accent particulier sur l’approvisionnement en vaccins et traitements contre les maladies épidémiques. Cette augmentation budgétaire, approuvée le 14 février 2025, vise à compenser l’impact du gel des fonds américains, notamment dans les zones déjà fragilisées par les conflits.
Au Cameroun, le ministre de la Santé, Dr Manaouda Malachie, a assuré que les services de traitement du paludisme, du VIH et de la tuberculose se poursuivraient sans interruption. Une série d’évaluations a été lancée afin d’anticiper les effets de la suspension et d’ajuster les ressources nationales en conséquence.
Au Ghana, le ministre des Finances a été chargé de mobiliser de nouvelles ressources pour combler le vide laissé par la suspension de l’aide, en donnant la priorité à la santé maternelle, à la prévention du paludisme et aux programmes de lutte contre le VIH/SIDA.
De même, dans une lettre ouverte[4], les présidents Umaro Sissoco Embaló (Guinée-Bissau) et Duma Gideon Boko (Botswana), respectivement président sortant et président entrant de l’Alliance des dirigeants africains contre le paludisme (ALMA), ont souligné la nécessité d’un engagement politique fort et d’un financement national accru pour soutenir les programmes de lutte contre le paludisme.
Au-delà des réponses financières et politiques, certains professionnels estiment que la lutte contre des maladies comme le paludisme exige également une approche structurelle et environnementale.
« Le paludisme est autant un problème environnemental qu’un problème de santé. Le vecteur de transmission du paludisme est le moustique. Nous pouvons combattre les moustiques en interrompant leur transformation de larve à adulte. Cette étape peut être perturbée en assurant une bonne gestion de l’eau », explique Nwapa de la campagne #EndMalariainNigeria. Il ajoute : « Au Nigéria et dans d’autres pays africains où le nombre de cas de paludisme est élevé, les systèmes de drainage sont médiocres. Si nous veillons à construire des infrastructures de drainage qui évitent les stagnations d’eau, nous éliminerons une grande partie des moustiques en supprimant leurs lieux de reproduction ».
Une lueur d’espoir
Malgré les contraintes budgétaires et la baisse du soutien international, une lueur d’espoir subsiste quant à l’éradication du paludisme en Afrique. En février 2025, lors de l’Assemblée générale de l’Union africaine, l’Alliance des dirigeants africains contre le paludisme (ALMA) a publié un rapport[5] annonçant que le Cap-Vert et l’Égypte avaient été certifiés exempts de paludisme par l’OMS en 2024.
L’Égypte a été déclarée exempte de paludisme le 20 octobre 2024, après avoir démontré que la transmission locale par les moustiques Anopheles avait été interrompue pendant au moins trois années consécutives. Auparavant, l’Algérie avait reçu la même certification de l’OMS le 22 mai 2019, après avoir prouvé que la transmission locale avait, elle aussi, été interrompue durant trois années consécutives.
À l’occasion de la Journée mondiale de lutte contre le paludisme 2025, placée cette année sous le thème « Le paludisme s’arrête avec nous : réinvestir, réimaginer, raviver », ces avancées prennent une signification particulière. Elles rappellent que, si la solidarité internationale reste essentielle, une réponse durable au paludisme exige également un engagement politique local fort, une meilleure mobilisation des ressources nationales et une coopération régionale renforcée.
[1] https://www.who.int/teams/global-malaria-programme/reports/world-malaria-report-2024
[2] https://cdn.who.int/media/docs/default-source/malaria/world-malaria-reports/world-malaria-report-2024-spreadview.pdf?sfvrsn=3ccb3695_3
[3] https://www.theguardian.com/us-news/2025/jan/24/foreign-aid-israel-egypt?utm_source=chatgpt.com
[4] https://www.cabi.org/news-article/presidents-write-for-scidev-net-on-urgent-need-to-eradicate-deadly-malaria-affecting-millions-in-africa/
[5] https://alma2030.org/fr/chefs-detat-et-de-gouvernement/rapport-detape-de-lunion-africaine-sur-le-paludisme/2024-africa-malaria-progress-report/?highlight=egypte
[6] https://alma2030.org/fr/chefs-detat-et-de-gouvernement/rapport-detape-de-lunion-africaine-sur-le-paludisme/2024-africa-malaria-progress-report/?highlight=egypte
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